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Publié par Marylène

En septembre et décembre 2008, nous publiions dans notre revue trimestrielle cet article consacré à la déportation suite aux questions posées par l'un de nos membres : « Pourriez-vous m'apporter des précisions sur les convois de déportés juifs au départ de Malines ? Itinéraire précis (nom des gares traversées de Malines à Aachen) ? Par quelle(s) ligne(s) (24 ou 24 A) entraient les convois à Aachen ? L'itinéraire a-t-il toujours été le même ? Par quelles grandes gares allemandes et polonaises les convois passaient-ils ? Types de locomotives utilisées ? ».  Remercions Mme Schram pour l'aide apportée.

 

Par Armand Bovy, Jean Pirghaye et Marylène Zecchinon 

 

Mme Laurence Schram, archiviste au Musée juif de la Déportation et de la Résistance à Malines [en néerlandais : Joods Museum van Deportatie en Verzet (jmdv@telenet.be) ; il se situe dans une aile de l’ancienne caserne Dossin où les Nazis installèrent un centre de rassemblement pour la déportation des Juifs de Belgiquea été consultée et a répondu aimablement à notre demande.

Elle regrette de ne pouvoir apporter des précisions car l'itinéraire des trains n'est pas complètement connu : il changeait régulièrement, et sur le territoire belge et au-delà. Même les archives de la SNCB restent muettes à ce sujet. Pour ce qui est du territoire belge, nous disposons d'indications plus précises pour les convois XX et XXII, grâce aux témoignages d'époque ou aux cadavres des évadés malheureux retrouvés le long des voies.

Le site Internet « http://www.cicb.be » nous a également fourni des renseignements.

Le 15 juillet 1942, Philipp Schmitt, le terrible commandant du camp de concentration de Breendonk, est chargé d’aménager la caserne Dossin en camp de rassemblement pour les Juifs. Malines, de par sa position centrale entre Bruxelles et Anvers, est idéalement située.

Le 27 juillet, la caserne est opérationnelle et le 4 août, le Ier convoi de déportés gagne Auschwitz. Le « séjour » à Malines était relativement de courte durée : de une semaine (sous le major Schmitt) à trois mois (sous son remplaçant, l’adjudant-major H. J. G. Frank). Sur les 25.000 personnes qui y ont transité, 52 morts « seulement » sont à déplorer…

Entre le 4 août 1942 et le 31 juillet 1944, ce sont 28 convois qui quittèrent Malines pour Auschwitz-Birkenau. Sur les 24.916 déportés juifs et 351 tziganes, 15.873 Juifs sont immédiatement envoyés dans les chambres à gaz, tandis que les autres tenteront de survivre dans le camp de concentration. A la libération du camp, le 27 janvier 1945, seules 1221 personnes sont encore en vie…

Les prisonniers des 19 premiers convois voyageaient dans des voitures de 3e classe. Le nombre, trop élevé, d’évasions par les fenêtres, incita les SS à utiliser, dès le XXe convoi, des wagons à bestiaux, ce qui rendait les conditions de transport atroces : environ 60 personnes étaient entassées, sans rien à manger ni à boire ; le voyage durait généralement de deux à trois jours.

Le 19 avril 1943, pour la 20e fois, un train quitte la caserne Dossin. Une quarantaine d’hommes de la Schutzpolizei, donc venus spécialement d’Allemagne, sont chargés de la surveillance de 1631 déportés, ce qui était plus que d’habitude. Parmi eux, la plus jeune de tous les déportés : une petite fille âgée d’à peine 5 semaines !

« Entre Tirlemont et Tongres, le convoi est remorqué par deux locomotives du type 44 dont la 4713 [Numérotation SNCB de 1931]. Ayant quitté Tirlemont à 23 h 30, il est arrêté 45 minutes au signal d'entrée de Borgloon. La vitesse autorisée sur la ligne est de 40 km / h avec ralentissement à 5 km / h aux passages à niveau. Des prisonniers s'échappent et les Allemands tirent à Jesseren » [Armand Bovy, Des rails au ciel, La reconstruction du chemin de fer 1940-1942, article paru dans 1940-1945, La Basse-Meuse dans la guerre, Visé, Société Archéo-Historique de Visé, mai 1990, p. 92].

« Dans leur masse, les évadés du XXe convoi ont sauté du train en marche. Ils avaient organisé leur évasion en dérobant des outils, parfois avec la complicité de ‘‘travailleurs’’, dans les ateliers du camp de rassemblement. Ceux-ci fonctionnaient depuis l'automne 1942, en raison de la suspension des transports pendant l'hiver. Ils produisaient pour l'intendance de la police SS, mais aussi pour le compte personnel du major SS Philipp Schmitt. L'affaire venait d'être découverte en mars 1943 et Schmitt dut céder le commandement du camp de rassemblement à un simple adjudant SS Johannes Frank, peu avant le départ du XXe convoi... Outre les ‘outils’ dérobés, l'une ou l'autre lime a pu être introduite au camp, avec les colis distribués par l'A. J. B. [A. J. B. : Association des Juifs de Belgique, créée par l’Occupant durant la 2e Guerre mondiale]. A l'extérieur, on a cependant pensé à une autre solution que les éva­sions » [Serge Klarsfeld et Maxime Steinberg, Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, p. 30]. Il s'agit ni plus ni moins d'une attaque contre le XXe convoi…

« Nulle part dans l'Europe de la solution finale, on n'a osé une telle tentative. Même les Alliés ne bombardèrent pas les nœuds ferroviaires dirigeant les convois vers les centres d'extermination » [Idem].

Si la Résistance ne se hasarda pas dans un coup de main si téméraire, c'est un jeune médecin juif, Georges dit Youra Livschitz, libre de toute responsabilité d'organisation, qui reprit cette idée folle à son compte. Elle lui coûtera la vie. Avec deux condisciples, Jean Franklemon et Robert Maistriau, il força le XXe convoi à s'arrêter entre Boortmeerbeeck et Wespelaer, peu avant Louvain. Il était armé d’un revolver et d’une lampe tempête.

Les portes des fourgons étaient fermées avec du fil de fer barbelé. Malgré la pluie de balles qui s’abattait sur eux, R. Maistriau parvint à ouvrir un wagon d’où 5 premières personnes s’échappèrent. Une fois le train reparti, d’autres détenus s’évadèrent encore en forçant les portes. Sur les 232 personnes qui prirent la fuite, 87 furent rattrapées et intégrées dans un prochain convoi, 26 trouvèrent la mort et 119 retrouvèrent la liberté. Sur les 1400 déportés qui restèrent dans le train et qui atteignirent Auschwitz le 22 avril, 150 seulement survécurent à la guerre…

Les rails le long de la caserne Dossin, surnommée « l’antichambre de la mort »

Les rails le long de la caserne Dossin, surnommée « l’antichambre de la mort »

Photo du jeune homme qui tenta l’impossible pour sauver ses compatriotes

Photo du jeune homme qui tenta l’impossible pour sauver ses compatriotes

Robert Maistriau âgé

Robert Maistriau âgé

Nous pouvons ajouter que le « XXe convoi [La RTBF a consacré une émission sur ce convoi dans la série Jours de Guerre en 1993. Dans une émission ultérieure (en 2000), elle a diffusé l'Odyssée de jeunes Juifs liégeois « Les évadés du convoi XVI » : de Malines à Montzen, l'itinéraire fut le même que celui du convoi XX !] laisse sur son trajet belge une trace sanglante de son passage. Dans la nuit du 19 au 20 avril, 16 cadavres sont retrouvés le long du chemin de fer. Le plus souvent, les corps ne portent, pour les identifier, que le carton où s'inscrit le numéro du déporté dans le convoi. Les premiers morts sont relevés aux environs de Louvain, 12 kilomètres après Malines : les n° 1190 et 1193. Entre Louvain et Tirlemont, deux évadés de wagons différents ont aussi été tués : le 870 à Vertrijck et le 1028, peu après, à Roosbroeck. A Tirlemont où le train fait un arrêt prolongé pour remplacer la locomotive par deux machines de moindre puissance, l'évasion est fatale au n° 26, au n° 596 et au n° 879 ; plus loin à proximité de St Trond, il y a trois cadavres, à hauteur d'Halle-Rooien, le 652, le 1283 et le 1407 ; à peu de distance, le 1279 à Wilderen ; plus loin après St Tond, à Borgloon, le 515, le 1207 et le corps portant le numéro 748. Albert Simon, qui conduit le convoi depuis Tirlemont, s'apercevant que les déportés s'évadent, s'applique à respecter scrupuleusement les consignes ferroviaires, passant au pas les 6 passages à niveau et à Borgloon, il arrête le train pendant 30 minutes, attendant que la signalisation l'autorise à poursuivre. Tout à côté de Borgloon, le n° 5 est tué à Jesseren. Enfin, à Tongres, le 1217 est à son tour abattu. La série sanglante ne s'achève pas avec les cadavres échelonnés le long du trajet. Dans les jours qui suivent, des évadés mortellement atteints, décèdent dans les hôpitaux ou chez des particuliers, des religieuses par exemple : le 1447 à Tirlemont, le 718 et le 839 à St Trond. Deux autres évadés, ramenés à Bruxelles, meurent, le 1254 à l'Hôpital St Pierre, le 427 à celui d'Etterbeek. Enfin, le lieu de décès du 1398 et du 1412 n'est pas établi. Après la guerre, au retour des rares rescapés du XXe convoi, leurs témoignages établirent qu'à l'intérieur des wagons, il y eut aussi des morts : le 329 et le 340 sont identifiés. C'est que les tirs de la Schutzpolizei étaient fatals aux déportés quand les candidats de l'évasion profitaient du ralentissement de l'allure dans les courbes de la voie ferrée » [Maxime Steinberg, L'Etoile et le Fusil, tome III, vol. 2, La traque des Juifs 1942-1944, Bruxelles, éd. Vie Ouvrière, 1986, p. 70].

Le 8 mai 1945, seuls 10,7 % des déportés sont encore en vie, c'est-à-dire 150 survivants.

La gare de Jesseren  (Photo René DEVREUX)

La gare de Jesseren (Photo René DEVREUX)

Le projet « Transport XX » à Malines (avril - juin 2007)

Le projet « Transport XX » à Malines (avril - juin 2007)

Le projet « Transport XX » raconte l’histoire de l’unique convoi en Europe de déportés juifs qui ait subi une attaque afin d’en libérer les détenus, peu avant Louvain.

Du 20 avril à début juin 2007, le train parti de la caserne Dossin fut reconstitué. 1200 portraits de déportés (sur les 1631) étaient placés sur des bâches, sur 100 m, le long du ring de Malines ; en fait, sur le trajet qui reliait la caserne Dossin au réseau international des chemins de fer. Pendant un mois et demi, des milliers de passants purent avoir une pensée émue pour toutes les innocentes victimes de la barbarie allemande. A lire également concernant le XXe Transport : Les rebelles silencieux de Marion Schreiber.

« Le convoi XXI [du 31 juillet 1943] était parti de jour, il n'avait pas non plus emprunté l'itinéraire habituel, bifurquant après Louvain en direction de Hasselt et non de Tirlemont. En outre et surtout, la compagnie de SS flamands de garde à la police SS, ainsi que des agents allemands de la 'section juive' escortèrent le convoi jusqu'à la frontière, en renfort des agents de la police d'ordre, venus d'Allemagne comme à chaque départ à raison d'un policier pour 40 déportés. Ceux-­ci sont aussi nombreux qu'au convoi précédent [...]. Le convoi XXI arrive à Auschwitz, le 2 août 1943. Il est exterminé dans la même proportion que le précédent, à 70 %. Les 1087 déportés assassinés à l'arrivée l'ont été dans les nouvelles installations du centre d'extermination de Birkenau. Avec ses nouveaux crématoires et ses chambres à gaz de capacité supérieure, il dispose, depuis le printemps, d'une véritable machinerie industrielle de mise à mort à la mesure du génocide. Les déportés du convoi XXI acceptés dans le camp de concentration sont au nombre de 466. La captivité y fera plus de ravages que parmi leurs compagnons du convoi XX. Le taux de survie du convoi est parmi les plus bas : à peine 40 -un taux de 2,6 % : seulement- seront encore en vie à la Libération » [Idem].

Quant au convoi XXII du 19 septembre 1943, c'est par une lettre émouvante et rapidement écrite par un déporté que l'on connaît son itinéraire. La lettre fut écrite le lundi 20 septembre 1943, à 6 h 30 du matin, après une nuit passée dans le wagon à bestiaux. En voici un bref passage relatif à notre sujet : « Je note les gares : Haecht, Louvain, Tirlemont [impossible !], Rotselaer, Aerschot, Langdorp, Testelt, Sichem, Diest, Zeelkem, Linkhout, Kermt, Hasselt [arrivée à 8 h 10] et Bilzen [passé à 9 h] ». Ce train ne peut alors que se diriger vers Tongres et la Ligne 24...

Le « Pavillon belge » à Auschwitz, inauguré le 7 mai 2006, présente trois salles traitant chacune d’un aspect différent de la persécution des Juifs en Belgique. La troisième salle expose des documents relatifs aux 28 convois partis de Malines.

LA DEPORTATION

« Le train de la mort », aquarelle de Irène Awret-Spicker. Dans le camp de Malines se trouvait un atelier de peinture où les artistes, peintres et dessinateurs, étaient chargés de dessiner les n° des détenus, peindre des pancartes, voire même réaliser des portraits de soldats nazis. Certains artistes réussirent à représenter secrètement des scènes de la vie au camp, des portraits de détenus, ainsi que des caricatures.

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