2018 : année du PATRIMOINE INSOLITE...
En attendant de vous présenter quelques activités et animations ferroviaires qui se tiendront dans la région sur le thème de l'INSOLITE dans le cadre des Journées du Patrimoine (week end des 8 et 9 septembre 2018), voici un petit texte qui pourrait nous paraître "insolite" aujourd'hui de par son contenu mais qui reflète totalement la réalité d'une époque... pas si lointaine.
Juste après, quelques photos, belges et étrangères, "étonnantes" glanées sur Internet...
Les premiers trains terrifiaient les hommes
Aujourd'hui, la date du 27 septembre 1825 n'évoque plus rien pour personne. Pourtant, c'est le jour de l'inauguration de la première ligne de chemin de fer dans le nord de l'Angleterre, qui révolutionne les transports aussi bien que les mentalités. Dès 7 heures du matin, une foule de curieux s'est rassemblée dans une localité des environs de la ville de Darlington. Pour la première fois, la Locomotion de Stephenson (1781-1848) doit tracter des wagons de charbon entre la mine et le port de Stockton, à une quarantaine de kilomètres de là.
Tous les badauds présents ne sont pas farouches partisans de l'aventure ferroviaire. Car les premiers trains irritent autant qu'ils effraient les esprits engourdis et frileux des contemporains. La liste des reproches qu'on adresse à ces monstres d'acier ne peut que faire sourire aujourd'hui. Mais les géomètres qui ont effectué les premiers relevés pour la pose des rails en ont fait les frais, eux. Plusieurs fois, ils ont dû prendre leurs jambes à leur cou pour échapper à la colère des paysans et de leurs châtelains.
On craignait que les champs et les forêts ne prennent feu à cause des locomotives à vapeur. On s'offusquait contre le fait que les terrains de chasse soient coupés et on anticipait les collisions mortelles auxquelles la traque du gibier donnerait lieu. On soupçonnait le train de faire tourner le lait des vaches en les terrifiant. Les défenseurs de la moralité et les bien-pensants redoutaient quant à eux les conséquences socioculturelles du rail, le train permettant aux jeunes de la campagne de partir s'installer, temporairement ou définitivement, à la ville, lieu de plaisirs et de débauche. A lire le journaliste catholique Louis Veuillot, cette innovation est de nature diabolique : "Mais est-il avantageux pour la morale que l'Homme quitte si facilement et si souvent le foyer domestique que Dieu lui a permis de constituer ? […] Des villageois vont abandonner leur héritage et la paisible vie artisanale, ils viendront se démoraliser dans les grandes villes et répugneront à retourner dans leur village, ils deviendront des déracinés, des inquiets, des instables, des mécontents, peut-être des criminels, des malheureux à coup sûr !"
Ce sont les médecins qui se déchaînent le plus contre les trains. Selon certains d'entre eux, ils provoquent des inflammations de l’œil car la rétine ne parviendrait pas à s'adapter au défilé rapide des images. Les cahots provoqueraient des troubles psychiques : les passagers risqueraient de contracter la danse de Saint-Guy (maladie du cerveau qui se traduit par des gestes involontaires) mais aussi des affections hystériques ou épileptiques. Les gynécologues, eux, affirment que le ballottement des wagons "pour une femme devrait infailliblement provoquer une fausse couche...". Les bronchites et pleurésies aussi risqueraient de se multiplier : "La rapide translation d'un climat à un autre produirait sur les voies respiratoires un effet mortel...".
Au bout du compte, le train finit par s'imposer sans que ses sombres prédictions ne se réalisent. Si l'homme politique français Adolphe Thiers parlait des trains comme des jouets pour de grands enfants, ces jouets contribuèrent à réduire les distances et à rapprocher les hommes. Ce qui est certain, c'est que le progrès a toujours fait peur, même aux esprits les plus éclairés. Aujourd'hui, les peurs ne se cristallisent-elles pas autour d'Internet ?
Source : Didier Chirat, Toutes les drôles d'histoires de notre histoire, La Librairie Vuibert, 2018, pp. 225-227